Depuis cent ans, l’affirmation de Freud, fil rouge d’Au-delà du principe de plaisir, installant la compulsion de répétition, la pulsion de mort et la haine au centre de la vie humaine, reste toujours énigmatique –bien que la clinique et l’art en témoignent –, et pose les questions du pourquoi : quel processus est à l’œuvre pour que la volonté n’ait aucune prise sur elles ? et du comment : quelle est leur source, quelles sont leurs conséquences pour la conduite thérapeutique du psychanalyste comme du psychiatre ?
Cette affirmation de Freud, qui heurta aussitôt son entourage, nous froisse toujours : serions-nous habités par un Mal radical comme le suggérait déjà Kant et avant lui Augustin ? Or Freud, lui, opère avec son réalisme robuste rebelle à toute hypothèse métaphysique ou théologique : il s’avère que l’expérience précoce de l’enfant avec son entourage, qui signe la singularité toujours contextualisée de ses symptômes, est implémentée dans les circuits neuraux qui lui imposent les contraintes de son organisation. Freud, explorateur du neurone, n’occulte jamais la prise du matériel psychique par le matériau biologique dans les circonstances de son avènement.
Aujourd’hui, cent ans plus tard, la neurobiologie lève le voile sur la physiologie du plaisir et l’ancrage corporel des pulsions en les reliant à l’anticipation, aux marqueurs somatiques et à l’équilibre de systèmes opposants. L’épigenèse, quant à elle, nous révèle comme le produit implémenté de notre environnement. L’articulation aux neurosciences est à même aujourd’hui d’inscrire les ressorts de l’affirmation de Freud dans le tissu neural et aucun spiritualisme (l’inconscient serait une propriété de l’âme) ou idéalisme (l’inconscient serait une propriété du langage) ne pourra en faire l’économie : ce n’est pas pour en jouir que nous répétons nos symptômes, c’est parce que nous les répétons que nous en jouissons. La répétition est première parce que sa cause a été implémentée et doit être délogée pour avoir le statut de raison sur laquelle l’interprétation aura son effet.
Célébrer le centenaire d’Au-delà du principe de plaisir sera l’occasion d’actualiser le débat entre philosophie et biologie, entre psychanalyse et neurosciences, autour des mystères du plaisir et de la pulsion de mort afin de redonner tout leur tranchant à l’expérience psychanalytique et à la pratique d’une psychiatrie psychodynamique.